Le squatt et la manif...
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RÉSIDENCE SECONDAIRE
Le single "Musique atteinte/Voyou vaudou" apparut dans les bacs. D’honorable facture, mais bien loin de l’incandescence scénique que nous connaissions, il rencontra un accueil mitigé. Midi libre le qualifiait de "ratage dont on n’a pas à rougir" alors que Rock’n folk en déduisait "sûrement groupe de scène, violent et dévastateur". La déflagration tant attendue n’ aurait pas lieu. Enfin, pas tout de suite, l’énergie brutale des OTH souffrant du format réduit et de la froideur des consoles de mixage. Leur feeling était une entité qu’on ne pouvait morceler sous peine de le voir s’amenuiser. Le LP devenait indispensable et on espérait que ce 45 tours donne le goût du risque à une quelconque compagnie.
Le bizness français, après l’euphorie de 1980 redevenait prudent investissait à court terme. Téléphone se maintenait alors que Trust voyait peu à peu son étoile ternir. Mis à part ces quelques pointures établies, les groupes ne pouvaient décemment songer à faire carrière, tout au plus décrocher un hit et disparaître avec un pécule correct, en sacrifiant aux lois commerciales. Le rocker pur et dur demeurait exclu de la cour des grands, condamné à végéter, de MJC en auto-productions jusqu’à ce que la lassitude ait raison de ses convictions. À moins qu’il n’arrive à tirer parti de sa propre pourriture.
Spirou marqua au dos de sa veste en jean déchirée "OTH PESTIFÉRÉS" En apparence, rien n’avait réellement changé. Mais il y avait désormais le nombre, cette masse de kids assoiffés d’absolu, rejetant les entreprises vénales du show biz, combattant l’ennui quotidien, hurlant désespérement, pour se faire entendre. La marginalité du rock, on en avait soupé. On n’allait tout de même pas passer du stade marginal à celui de récupéré sans connaître l’éphémère instant de consécration. Trop facile, ce subterfuge de l’omission polie, du pieux mensonge. La ville prenait les couleurs criardes des spiky hair, résonnait de riffs décharnés et de mélopées névrosées, tressaillait sous le pas de commandos désoeuvrés, et on allait attendre patiemment que l’âge et la norme viennent anesthésier ce sursaut de vie ?
En contrebas de la voie rapide, non loin du berceau natal de la d’Argent une fabrique désaffectée avec un immense entrepôt. Voyer et OTH allaient y établir leur QG. Après avoir attaqué la rue, joué avec les institutions du spectacle, les trafiquants d’art squatteraient, comme à Brixton, comme à Berlin, et bousculeraient l’opinion publique. Le projet ? Faire de ce hangar insalubre, une Salle de concert. Comme on ne donne pas, nous prendrons, tel était le leitmotiv. Rêve insensé
certes, mais le réalisme prôné par les esprits brillants n’induisait qu’échec et récupération. Point d’étonnant à ce que des centaines de personnes se soient engouffrées dans cet exutoire utopiste.
Le squatt connut en effet un véritable engouement qui dépassa le concept purement musical. Des traîne-savates d’horizons divers attirés par la chaleur du midi, des lycéens en fin de parcours, des fillettes subissant les premiers conflits familiaux, fugueurs et fugueuses de tout poil s’accrochèrent aux basques des rockers revendicateurs, transformant l’attentat en hype. La pression se trouvait là quelque chose à se mettre sous la dent, et "les squatters pestiférés" remplaçaient la rubrique des chiens crevés. Un après-midi, un journaliste m’aborda, se prétendant de Paris Match, désirant trouver les OTHiens. Je lui indiquai l’adresse du squatt et quelques semaines plus tard, le poids des mots titrait "Rock gaulois" et la photo de choc représentait Motch arc bouté sur sa guitare. Le gratte papier y allait de sa digression sur l’état du rock français, et recencé les principaux groupes de MnntpeIlier. Personne ne pouvait ignorer le phénomène, et l’édile locale se devait de réagir.
En attendant, beaucoup venaient jouer aux SDF du rock, par réaction, par dérision ou solidarité. Des punks lobotomisés s’imbibaient de Valstar dégueulasse, tentant de coincer des adolescentes aux fesses frémissantes sous leur collant léopard. Motch, impassible repeignait sa mobylette contre un mur taggé d’un gigantesque Kébra, tandis que les rats blancs berlinois se reproduisaient à tout berzingue. Dans cette atmosphère craspec, on parlait du premier concert, de la difficulté à obtenir l’électricité, mais rien de suffisamment concret pour laisser augurer de la réussite du projet. De plus, cette perpétuelle ambiance de "fiesta chez les gueux" contribuait à escamoter l’objectif initial. Si les choses demeuraient ainsi, Voyer et ses mercenaires n’auraient crée qu’un Club Med pour zonards. Mais le manager/activiste élaborait son plan. Le TGV devait dorénavant desservir la gare héraultaise, et la cérémonie était annoncée en grande pompe. Pour l’occasion, la petite merveille technologique déposerait Charles Fitterman, ministre des transports, qui serait réceptionné à même le quai par un Georges Frêche radieux.
La bourgade amorçait sa mutation, et les rockers n’avaient pas intérêt de rater le bain...

TROOPS OF TOMORROW

On allait donc descendre dans la rue pour exprimer nos doléances, comme n’importe quel corps de métier. Voyer exposait une stratégie simple efficace : rendez.vous devant les jardins du Peyrou, marche jusqu’à la place Jean Jaurès où quelques groupes, gracieusement alimentés par les volts du Petit Nice, feraient une prestation courte et symbolique. Ensuite, marche jusqu’à la gare où l’on manifesterait face au maire et au ministre.
Les consignes étaient claires, soigner le look, pas de casse, pas de provocation. La requête devait s’effectuer dans la sérénité pour être consid rée. Voyer médiatisait l’insurrection par le biais des radios libres, de l’affichage sauvage et de l’éternel bouche à oreille.
Petite anecdote. Avec mon acolyte Papy, nous animions une émission tardive sur Radio Choc le vendredi soir, "La soude caustique", qui laissait un large place au rock régional. La veille de l’événement nous invitâmes Spirou et son manager qui décrivirent la situation. Ce fut un franc succès. Les appels téléphoniques se succédaient, et les responsables de la station qui sablaient champagne dans une pièce voisine, furent assez impressionnés.
Ils laissaient toujours traîner une oreille suspicieuse durant notre temps d’antenne, redoutant nos débordements verbaux. La clarté et le sérieux des projets les surprit, et les deux agitateurs se virent gratifiés d’une coupette. Leur pouvoir de conviction n’était plus à démontrer.
Le lendemain quelques centaines de rebelles se pressent devant l’arc de triomphe, punks, rockabs, hardos, babas, modernistes, attifés de leurs plus belles hardes. Les lyrics de "Musique atteinte" prennent tout leur sens :
"Je veux faire la mienne, ma révolution
Avec une guitare entre les dents."
La colonne s’ébranle et parvient paisiblement jusqu’à Jean Jaurès sous les regards ahuris des passants. Eject et Boomerang exécutent trois morceaux dans l’urgence et cèdent la place à OTH. Ces derniers ont perdu Motch dans la bataille, mais le temps presse. Ils balancent en quatuor "Too drunk to fuck" des Dead Kennedys et "Oi, oi, oi" des Cockney Rejects avant d’indiquer la dernière ligne droite. Descente vers la Comédie.
Déjà quelques provocateurs se sont joints au troupeau et nous incitent à casser des vitrines. Personne ne répond. Les journalistes marquent le pas, micro à la main, récoltant une fois de plus nos revendications. On sait ce qu’on veut. Les semeurs de merde sont trois ou quatre inconnus affublés de perfectos. Déçus, ils commencent à nous traiter de tantes, de manifestants de patronage. On ne bronche

toujours pas, mais on promet de s’occuper d’eux au terme de l’après-midi. On arrive au Jardin de la Gare. Les cordons de CRS rappliquent au pas de course. Surprise et léger mouvement de recul. On se reprend et les saboteurs hurlent "C’est maintenant qu’il faut y aller ! maintenant qu’on va vous voir !". Mais ils ne verront rien. Chacun maintient sa position et nous nous alignons contre les toulousaines qui protègent la gare. On n’a pas prévu de slogan et les vociférations anarchiques vont de "On veut voir le train !" à "De la bière et de la baise !", ponctuées de rires gras.
Les élus apparaissent et Voyer, dominant la cohue, hurle son message.

On rebrousse chemin tranquillement... Nouvelle bataille qui s’avérera plus tard déterminante. Fitterman se déclarera "agréablement surpris" par cette jeunesse "aussi dynamique et spontanée" ( !!!), et Georges Frêche tiendra compte de l’avertissement, se définissant comme le maire de TOUS les montpelliérains. Il tolérera le squatt, allant jusqu’à y faire installer l’électicité et le téléphone.
Le projet utopique de la salle de concert sera évidemment irréalisable en cet endroit, mais Voyer détient désormais les éléments nécessaires pour constituer un dossier en béton, et le soumettre à l’opinion municipale.
La réussite de cette joumée sera célébrée au squatt, mais personne ne retrouvera la trace du quarteron de provocateurs. PFFUITT ! Disparus. Envolés. Les alarmistes les imagineront engagés pour perturber la manif, alors que d’autres, plus réalistes les laisseront pour ce qu’ils étaient, des petits cons profitant du nombre pour se défouler sans risque.
. Les squatters sonneront la retraite dès les premiers frimas, mais quelle importance puisque la reconnaissance est acquise. Il ne reste qu’à attendre un témoignage concret, sinon bis répétita.
Notons que durant l’été 82, une bande de néo-punks occupera un appartement rue des Soeurs Noires. N’ayant strictement aucun rapport avec la cause, ce squatt bien que médiatisé par la Gazette ("Faut-il avoir peur des punks ?" en grand sur les panneaux municipaux), périclitera rapidement.


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