Le dernier concert au Rockstore 1991
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COMMENT SONNE UN GROUPE QUI MEURT

Combien sommes-nous qui attendons le train
Qui mène à la vie facile
Combien sommes-nous qui espérons pouvoir
Atteindre gloire et fortune
Rock’n rollers, glandeurs professionnels
Chasseurs d’étemité
Mais c’est beaucoup trop tard
Oui c’est beaucoup trop tard
Nous ne sommes pas rebelles contestataires
Marginaux délinquants
On aimerait bien profiter du système
Pas seulement de ses inconvénients
Et ce n’est pas la peine d’en rajouter
Ni d’être fier de le savoir
Car eux ils savent qu’on sait
Ils savent très bien qu’on sait

OTH "Arrêtez le carnage ! "

Elliot Murphy l’écrivait sur une de ses fameuses notes de pochette. Le rock’n roll ne ment pas. Il ne promet pas de fin heureuse. On peut accorder un certain crédit à cet Américain, bombardé "nouveau Dylan" à l’orée sa carrière, dorénavant contraint à végéter dans notre bon pays où tout monde se contrefout de ses paraboles. Mieux encore, pour gagner quelques picaillons, l’artiste blond a produit une démo d’Usine et Sentiments, et, face à Christophe Baumes inquiet qui voyait disparaître ses économies en notes d’hôtel et communications téléphoniques, s’est dédouané d’un piteux : "Mais je suis communiste". Et ceci est une très bonne histoire nineties.
Le douloureux passage à l’âge adulte implique responsabilité nécessité économique, et par conséquent, perte des illusions. Tous,.du demi-sel au rebelle impitoyable chercherons à nous en excuser, comme pour pour prolonger notre trajet sur les voies de l’adolescence. Dans ce cas de figure, il est impossible de vieillir sans trahir, et cela fait une drôle d’impression quand, le matin devant la glace, on réalise que l’on se serait conchié cinq ans auparavant. Cause perdue ? Non sens ? Juste la fin promise par le rock’n roll et que connaît si bien le vieil Elliot.
Jean-Michel Poisson, dit Spi, a quinze ans durant bravé les règles ce qu’on nomme communément la vie, et en bon loup de mer, a su contourner ses écueils en risquant perpétuellement la noyade. Aussi, lorsque se pose l’inévitable question, il choisit d’accepter l’érosion du temps en occultant la trahison. Même si cela doit meurtrir des coeurs et changer des vies. Comme un boxeur ou un torero doit connaître la faim, nous dit-on, le Rock’n roller doit d’avoir la rage. Mais après des années passées sur la route pour combattre dans chaque bourgade, s’instaure une sagesse, une sérénité aspirant au beau, et l’on s’aperçoit que colère et crasse ne sont plus éléments moteurs. Doit-on alors continuer à déblatérer des poncifs de révolte désormais vides de sens, devenir une baderne hypocrite de plus, ou tirer un trait définitif sur un lourd passé pour explorer de nouveaux chemins ?
Spi comprend qu’il lui sera de plus en plus difficile d’écrire pour OTH et donner à ses fans ce qu’ils attendent de lui. Il sait que le fossé ne fera que se creuser jusqu’à l’irrémédiable traîtrise. OTH deviendrait ainsi un groupe parmi tant d’autres, vénéré pour ses débuts et vomi pour son acharnement à jouer les prolongations. Quand la haine est exorcisée, il faut savoir abattre la bête malade et abréger ses souffrances. Cela requiert de la fermeté et suffisamment de cran pour ne point fermer les yeux lorsque l’on presse la détente. Pour le leader OTHien, le rock’n roll n’est plus attrayant et ses incursions dans des genres différents au sein des Naufragés en témoignent. Chanson réaliste, musiques traditionnelles, rock steady jamaïcain sont des territoires inexplorables pour son gang de killers. Pour élargir ses horizons, il lui est donc obligatoire de quitter la paroisse, même si cela signifie la fin du culte.
vidéo du concert au péage du Roussillon le représente consciencieux mais aux aguets. Il remplit son contrat honnêtement, mais cela ne peut plus durer.
Il met donc un terme à l’aventure, sonnant le glas en plein "Explorateur Tour". Décision plus que fraîchement accueillie par ses comparses et le management. En effet, Etienne Imer a des dates prévues et de l’argent dehors, et si pour Beubeu et Phil, le recyclage est possible via les Naufs, pour Domi et Motch c’est l’anéantissement du rêve.
Gilbert Valentin, dit Motch, incarne une certaine idée de la pérennité rock’n rollienne. Pour lui, trahir c’est changer. Investi dans son sacerdoce, il ne peut concevoir un autre mode de survie artistique et on le sent né à mourir sur scène sans avoir dévié d’un iota. Campant farouchement sur sa position, il est prêt à affronter la désaffection, voire l’oubli, quitte à retourner ferrailler dans sa cave pour être redécouvert une ou deux décennies plus tard, comme un bluesman en bois brut. Cependant, si sa guitare est on ne peut plus loquace, l’individu n’est pas un porte-parole et se trouve dans l’incapacité de délivrer le message susceptible d’assurer la continuité. Il respectera avec résignation la sentence, enfouissant en lui-même toutes les rancoeurs qu’entraînent la perte de sa raison d’être. Ces deux points de vue antinomiques méritent que l’on se découvre. C’est l’antédiluvien dilemme et de la raison, et l’osmose de ces deux composantes explique la longévité du groupe.

Arrêt sur image.
Fabrice Birot et Manu Larnaud des Sheriff dansant comme de possédés derrière les amplis///
Le clan des concubines qui ne desserre pas les mâchoires///
Domi tombant à la renverse dans les bras des furieux tout en creusant le riff du Grand Final///
Beubeu enlaçant Motch, lui caressant la tête tandis que ce dernier fixe un point invisible et continue de jouer///
Phil et son éternel sourire///
Motch le second soir, complètement barré, laissant vibrer l’accord sur "IBM" pour toiser un Spi incrédule///
Image de fin : Motch perdu sur scène, seul, mains ouvertes, guitare pendante, ne sachant s’il désire prolonger l’ovation ou confesser son impuissance. STOP. REWIND. EJECT. Rangeons l’objet dans son boîtier.
Il nous arrivait de penser à la mort d’OTH comme à celle de nos parents. Quelque chose d’inévitable certes, mais que l’on souhaitait lointaine quand les multiples chausse-trappes dela vie nous auraient bétonné le palpant. Force nous est de constater qu’en ce mois de décembre 1991, le rock montpelliérain est enfin adulte, mais orphelin.

Il ne reste plus qu’à jouer les arrêts de jeu au cours de nineties confortables et institutionnalisées, jusqu’à révulser la génération suivante qui reportera ses voix sur le hip-hop, l’électro, ou d’autres courants plus radicaux. Alors que l’on cesse une bonne fois pour toutes de se lamenter à ce sujet. Les kids auront besoin de se créer d’autres exutoires plutôt que nous contempler accepter toute compromission. Plus qu’OTH, c’est un espoir qui décède en ce début de décennie, et le Lez coulera très longtemps avant l’on puisse conter odyssée similaire.Je ne sais si Frédéric Bessière pense à tout cela, ce 12 décembre 1991. Ayant amorcé un repli stratégique dans un troquet de la rue de verdun, il tente d’échapper à l’hystérie collective en éclusant quelques godets avec ses potes, loin du cyclone. Ce soir, Verdun est Waterloo. Ils sont tous venus, de Nantes, Lyon, Paris, pour célébrer les funérailles du combo le plus representatif du rock indépendant, du moins de son esprit. Les tickets s’arrachent , réminiscence d’un glorieux hiver 86, et le Rockstore ne pourra contenir la totalité de la foule. Sentant l’heure approcher, Fred tente une percée, péniblement la rue pour se retrouver bloqué à l’entrée du temple bianire. Qu’aurions-nous à foutre des difficultés d’accès de ce quidam s’il n’était guitariste des Sheriff ? À l’intérieur, la tension monte. Le timing est plus que serré et les pistoleros constatent l’absence de leur adjoint. Olivier Téna, faussement décontracté, arpente la scène et annonce avec humour ce fâcheux contretemps. Mais l’inquiétude est palpable. Il est des rendez-vous que l’on ne peut différer. Auparavant, Saint Péaul, le frère illuminé a rendu le premier hommage. Les Babylon Fighters, rasta rocket stéphanois lui ont succédé. Puis l’émotion s’est accrue. Surtout quand l’excellent quatuor de blues accoustique de l’invincible Denis Rivoal, les Noïs, a entonné "Sur les charbons ardents". Bilbo, le preux vocaliste/harmoniciste en a tartiné un peu trop, comme d’habitude, mais a fait sortir les mouchoirs par cette épitaphe : "Refermons donc ce souterrain sur ces garçons sauvages, qui en quinze ans de rage nous ont montré le chemin". Les Maracas, récemment auréolés du succès de leur single "Les cheveux dans le vent", ont délivré une version groovy-seventies de "La France dort", et, en levant les yeux sur la mezzanine, on pouvait apercevoir Spi se trémousser d’approbation. Laurent Roche, le frontman a déclaré aux caméras de Denis Clerc (FR 3), que les Fab Five entraient dans la légende par cette séparation. Mais la tristesse est dans tous les coeurs, et même si Olivier Téna exhorte les allieux à transformer tout ça en fête, on sait qu’à l’issue de la soirée, rien ne sera pareil.
Fred Bessière a enfin rallié son état-major et fait tonner sa guitare.
Les Sheriff défouraillent, violents et nerveux. "Pile ou face", extrait du dernier album fait accomplir des prodiges au petit nouveau, Fabrice Birot. Le groupe s’est désormais étoffé, sonnant beaucoup plus dur, rappelant aux anciens certaines prestations d’... Impossible de s’en défaire. Seigneur, mais comment pourrons-nous ? D’abord les Bérus, Parabellum, puis EUX. Le rock alternatif n’est plus qu’un vaste cimetière. Dernier bastion local et hexagonal de la mouvance, les Sheriff réalisent un set que d’aucuns considéreront comme une passation de pouvoir. Ils dynamitent "IBM" des futurs défunts et saluent judicieusement la dépouille de Parabellum par "La bombe et moi".
Olivier paraphe d’un rageur "OTH est mort, vive OTH !", et nous voici dans l’attente de la crucifixion.
Alors, où étiez-vous ce 12 décembre 1991 ? Le Rockstore avait collé un bandeau "Liquidation totale" sur les affiches, et distribuait des flyers "Faisons la haine avant de nous dire adieu". Un tel événement vous renvoie à votre propre blues et des faits quotidiens et usuels s’incrustent bizarrement dans votre subconscient, revenant à chaque évocation du soir noir. Aviez-vous déjà dressé la liste de vos emplettes de Noël ? Quelle chemise aviez-vous choisie ce matin-là ? Tout a son importance ! Même mon boss m’avait demandé si j’y allais, c’est vous dire. Mais je n’en avais aucunement l’intention, car ex-punk sensible, je redoute fins et départs. Tout ce que je vous bonnis ici provient donc de témoignages divers et de bandes vidéo visionnées dix ans après, "Comme si un principe de précaution devait prévaloir et préserver le secret démence jusqu’à l’extinction du dernier Jurassic Punk". Merci Vinson.
J’étais donc prostré sur mon canapé, écoutant la retransmission en direct de l’enterrement sur radio AlliRator, et me souviens avoir déclaré à ma future qui vaquait en petite fourmi laborieuse : "Écoute comment sonne un groupe qui meurt". Un truc que j’avais probablement piqué à Eudeline, mais ô combien de circonstance. Je me mettais dans leur crâne : penser que c’est DERNIÈRE FOIS que l’on pose ses doigts à CET endroit-là, pour produire CE BRUIT-LÀ, qui suscitera CETTE réaction ; et ce sablier qui s’égrène vitesse grand V, réduisant quinze années en poussière. De "Harley Davidson aux "Charbons ardents", le set n’était pas extraordinaire, juste la liste type de l’ "Explorateur Tour". Pourtant, des bruits avaient couru qu’ils exhumeraient des antiquités pour l’occasion. Foutaises, pour faire ça, il faut la motivation, l’énergie des surviveurs, pas l’âme endolorie des grognards entendant sonner l’ultime assaut. Le groupe a donc puisé dans ses réserves pour retrouver l’urgence, espérant que le public le galvaniserait. En ce sens, le concert fut davantage celui des fans qui firent chorus jusqu’au bout avant d’envahir la scène. "Ça y est Spi ! Ça y est ! C’est le chaos !" hurlera un ancien compagnon de squatt, et les musiciens avoueront aux reporters leur trouble face à de telle démonstrations d’amour. Ils gratifieront Montpellier d’une performance supplémentaire le 13, pour exprimer leur reconnaissance.
Souvenons-nous donc de cinq copains qui, des parties de football sur le parking de la résidence des Érables jusqu’à la folle équipée rock’n rollienne, ont essuyé brimades et échecs sans se dépétir de leur solidarité tribale, préférant léguer à la postérité l’image de clowns électriques plutôt que celle d’augustes désabusés.
Pour nous, pauvres créatures inoffensives et farouches, cette attitude est bien MORTE et ne resurgira pas davantage que notre acné et notre pucelage. Ainsi paraphrasant lester Bangs, je ne prendrai pas la peine de dire adieu au cadavre des OTH, je dirai simplement
ADIEU A NOUS

Montpellier, aube du vingt et unième siecle.

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Le dernier concert au Rockstore 1991
(1/1), par kaleene
Le dernier concert au Rockstore 1991 par kaleene, le : 2 juin 2006
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